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L’exposition d’Anna Solal « La zone, le jardin » à la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers constitue le troisième volet de son projet « Une maison pour quelqu’un qui n’existe pas ». Après avoir bâti « La salle de bain » à Futura à Prague et « Le jardin » au centre d’art Passerelle à Brest, elle poursuit cette fois-ci l’exploration de l’extérieur de la maison en délinéant les contours d’une zone périphérique peuplée de figures anonymisées et souvent isolées, presque toutes adolescentes. Si le propos de ce projet à long terme ainsi que les sculptures en forme d’hirondelle ou de fleur qu’on retrouve à l’entrée de l’exposition évoquent, au premier abord, l’insouciance d’un jeu pour petites filles, la matérialité des assemblages et les dessins enchâssés à l’intérieur des compositions ne manquent pas de faire surgir un sentiment de malaise. Ses œuvres, faites de rebuts et de matériaux triviaux comme des tapis de voiture ou des écrans de smartphone brisés recèlent au centre des portraits d’adolescents saisis dans des comportements agressifs ou dans des moments d’isolement et d’exclusion du groupe. Leur identité demeure énigmatique, leurs visages indéfinis voire abstraits, comme à vouloir souligner le caractère universel du mal-être social qui touche cette phase particulière de la vie. L’ami imaginaire pour lequel Anna Solal s’attache à construire cette maison fictive semble correspondre moins à une figure précise qu’à une multitude d’individus, à une génération semi-endormie et convalescente, biologiquement vivante mais dont la prise sur le monde demeure inconsistante. Son univers donne des indices quant à l’état de son fantomatique habitant vraisemblablement empêtré dans une condition d’immobilité fiévreuse qui l’empêche de s’échapper au dehors, à l’image de ces hirondelles métalliques incapables de s’envoler. L’espace privé, au lieu d’être un endroit rassurant et protégé, devient le miroir de l’isolement généré par les réseaux sociaux et de l’aliénation qui prédominent dans le monde extérieur. Pourtant, l’occupant de ce microcosme domestique, loin de se réfugier dans une vision cynique du monde, se met au travail pour en soigner les blessures. Il cherche à réenchanter le monde en créant des nouvelles constellations à partir des déchets de notre économie globalisée. Il provoque la rencontre troublante entre des formes qui, dans l’imaginaire collectif, sont associées à un idéal d’amour et de beauté (comme les fleurs ou les hirondelles) et des éléments abjects, inassimilables. On pourrait rapprocher cette polarité entre idéal et réel, entre formes « hautes » et matière « immonde », de la notion d’« informe » théorisée par Georges Bataille. En s’insurgeant contre l’onirisme poétique du surréalisme d’André Breton considéré comme une échappée dégradante, Bataille revendique l’urgence d’une science qui porte son regard sur les déchets, qu’ils soient de nature matérielle, psychique ou sociale. Au lieu de se réfugier dans l’inconscient défendu par Breton, Bataille considère que la seule manière de produire un regard nouveau sur les formes qui nous entourent est d’accorder une place centrale à « ce qu’on voit », c’est-à-dire à la réalité dans ce qu’elle a de plus prosaïque, voire mons-trueux et répugnant. Pour le fondateur de la fameuse revue Documents, l’informe est moins un concept qu’un mouvement qui va du « haut » vers le « bas » et qui, en démolissant les catégories esthétiques tradi-tionnelles, nous ramène aux forces primitives sous-jacentes à chaque aspect du réel. Anna Solal semble intégrer cette même dia-lectique au sein de sa pratique en opérant d’incessants va-et-vient entre la trivialité des matériaux qu’elle utilise et le romantisme des formes et des couleurs qui ne dissimulent pas son attrait pour le jeu des clairs-obscurs et les teintes crépusculaires de la peinture du Greco et des maîtres vénitiens. Son travail, explique-t-elle, ne suit aucune démarche théorique mais il est habité par une urgence de sur-vie, à la fois personnelle et collective. En cela, ses sculptures sont l’expression d’une forme de résistance s’exprimant de manière non conceptuelle mais viscérale. Telles des chimères issues d’hybridations entre mondes humain, animal et végétal, ses œuvres s’adressent à nous comme autant de cris invoquant un repositionnement de l’homme dans la hiérarchie du vivant. Produites dans un espace domestique — car Anna Solal travaille principalement chez elle — elles se présentent comme des objets réparateurs d’un état de convalescence qui s’avère, malgré son caractère statique et immobile, riche de potentialités d’en-vol vers un futur qu’il reste à réenchanter.

Texte de Elena Cardin pour ZeroDeux – 25/03/20

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A famously stupid monk
Claimed he could float through thin air

The skeptics replied,
He’s no mystic! No way,
He’s no fucking mystic!

His aerial traverses
Are borne of ungracious leaps!
Not slow and suspenseful levitation!
But his portrait was painted,
Astronauts worship him now.
What about the invading air?

For centuries it crept
Threatened states of repose

Through open windows
It thickly invaded
Miasmatic particles

Reaching down gaped throats
Snores ringing in moonlight
Limbs anchored to the moon,
Limbs compressed by gravity.
For some of us
There is only sickness or health
There is only horizontal or vertical

Unworked hands further softened
For glowing glass

 5 days of hot liquids,
Leave soft rings on night stands.
Liquid in measures of 75%
Kept in place by the moon

Tethered impermanently
Like sun blinds breakfast tables
Or seeds search warmth

A rich boy was scolded for eating dirt
He opened his mouth for his mother
Who saw the whole universe:
Fire and wind and the birds and the planets.
In flecks of salivated earth<

Yes I fucking know that’s impossible.
No one can hold the tether
that binds them to their world

Text by Bitsy Knox 

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“La Convalescence,” French artist Anna Solal’s first solo show in Paris, featured devotional objects made from dollar-store finds (plastic shoes, kitchen utensils, car-floor mats, combs, neck massagers, and hair clips) and broken electronics (cracked smartphone screens, parts of remote controls and keyboards) salvaged from repair shops. Using tulle and wire to ritualistically bind together these cheap sundries and various forms of electronic waste, Solal creates freestanding sculptures as well as elaborate frames for her drawings. The artist’s aesthetic appreciation for junky products results in appealing, seemingly lighthearted assemblages. Her intention with these works, however, is to help break unhealthy addictions and bad habits. Using traditional religious iconography to describe a widespread modern malaise, Solal’s artworks invoked miracle cures for profligate consumerism and technology overload.

In three colorful still-life drawings framed by rubber steering-wheel protectors (Black Tea with Mil/z, Infusion sauge [Sage Infusion], and Infusion camomille) (all works 2018), Solal depicted home remedies such as steaming cups of tea, citrus slices, and vitamins. Tethered to the circular frames with fabric and wire, anthropomorphic figures made of found materials—some easily recognizable, others more mysteri- ous—hover like guardian angels on each side of the drawings. The angels flanking Black Tea with Milk, a drawing of milk being poured into a cup, are made of round sequin-studded hair clips and blue rubber shoe soles; splayed-open garlic presses make for elegant wings. In Infusion camomille, the angels are made of combs, children’s shoes, back massagers, and car carpeting and sanctify a white mug of herbal tea. ln another trinity of framed drawings (Morning Clouds, Afternoon Clouds, and Night Clouds), Solal visualizes a kind of post-tech afterlife.

Ruined personal technology, represented by smashed smartphone screens, frames heavenly colored-pencil skyscapes. Simultaneously beautiful and dangerous, the pocked and fissured frames are decadent foils to the divine imagery they surround. In the corners of each frame, more angels—in this case made from tulle-wrapped pieces of plastic supermarket crates—beckon toward peaceful heavens above. Solal’s freestanding sculptures also evoked spiritual guardians. The Clock is a cruciform clock, more than six feet tall; eight plastic combs form its face, and two jagged mirror shards make up its hands. At the center of the clock, a small figure wrapped in black tulle looks like a mummy with outstretched arms. This piece was inspired by Saint Lidwina, who was canonized in 1890, more than four hundred years after her death. Having endured years of intense pain caused by an ice-skating accident when she was fifteen, the Dutch mystic is a symbol of selfless suffering. If the mirror clock hands in Solal’s spindly, emaci- ated figure are a reference to the ice-skate blades, adornments such as remote-control buttons, iPad screens, and keyboard fragments make the effigy resemble a sickly cyborg. If you suffer from such modem-day plagues as “consumeritis” or smartphone addiction, Solal’s totems of ruined technology and dollar-store angels might be just the spirit guides to see you through to recovery.

Mara HobermanArtforum, 02/04/2018

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 Voila une galerie que l’on a plaisir à visiter car on prend plaisir :d’y étre bousculé. Non par le nombre de visiteurs qui s’y pressent aux vernissages, mais bien par les propositions de Marion Dana et Corentin Hamel. Outre, un temps, Ryan Trecartin & Lizzie Fitch, nous leur devons la découverte d’artistes comme Sean Raspet ou Artie Vierkant et le soutien é des artistes comme Bertrand Planes ou Cédric Fargues. La galerie accueille Ia premiére exposition personnelle d’Anna Solal, actuellement en résidence é Astérides é Marseille, présentant des oeuvres qui sont autant d’assemblages of: se mélent pauvreté des matériaux et objets trouvés ; banalité des sujets choisis pour les dessins ainsi ornés ; précision et méticulosité des compositions dans lesquelles des objets déclassés ne retrouvent certes pas leur role, mais un peu de sens. Bien qu’inscrites dans une esthétique actuelle, ces compositions sont étonnantes, incroyablement construites, et parfois… belles, quasi sacralisées, comme Infusion Sauge ou Black Tea with milk. On comprend qu’il y a chez Anna Solal une obsession d’accumulation et une tentative de ré-enchantement du quotidien.

Joseph Kouli,  fondation Ricard App – 03/03/2018

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A la New Galerie, Anna Solal présente des assemblages de bric et de broc, aussi naïfs qu’empreints d’une violence sourde. Un univers dystopique qui distille chez le visiteur un sentiment de gêne.

Peut-être faudrait-il plus souvent poser les jalons d’un récit potentiel pour introduire le travail d’un artiste. Peut-être faudrait-il plus souvent envisager les œuvres comme des situations initiales, des indices pour appréhender la suite d’un schéma narratif.

Avec la jeune artiste Anna Solal, tout pourrait commencer ainsi : il était une fois une déchetterie s’étalant à perte de vue, un monde alternatif, aride et dépeuplé. Non pas parallèle au monde contemporain, mais dans son prolongement. Il incarnerait une certaine idée du futur : un futur, proche ou lointain, frappé par une catastrophe écologique, ayant exacerbé les inégalités, l’instabilité et engendré un chaos politique.

 Les sols sont désormais jonchés de ruines, d’artifices inutiles, de matériaux déchiquetés et d’objets “cheap” issus d’entrepôts chinois. Toutes les matières précieuses se sont volatilisées ou bien ont fini sous la coupe d’une poignée de profiteurs désireux d’asseoir leur pouvoir. Le quotidien est une lutte sans relâche pour la survie. La débrouille fait loi.

A l’instar des lendemains de guerre, est venu le temps de la reconstruction. Suivant des lois d’attraction obscures, tous ces fragments du monde déchu s’agglomèrent d’eux-mêmes, se combinant les uns les autres, formant des compositions évoquant les objets disparus, en leur mémoire. Ou alors, serait-ce plutôt les survivants, à l’instar d’Anna Solal, qui glanent des détritus, ici et là. Les poumons encrassés, ces chirurgiens des restes du capitalisme restaurent avec tendresse tous ces éléments hétéroclites et pauvres. Ils sont à l’origine du nouveau modèle économique dominant, basé sur l’artisanat, le recyclage et l’empathie.

Ces objets bricolés peuplent jusqu’au 3 mars la New Galerie, représentant depuis peu Anna Solal, une jeune artiste née en 1988. A partir de carcasses d’objets en plastique divers, elle agence différents rebuts, construit des objets-puzzles, futuristes et archaïques, dessinant par exemple une luge, des satellites, des cerfs-volants ou encore des anges.

On avait repéré en 2016 la sculpture The Sun, un ballon de foot écorché, mû en soleil nimbé de crans et de pétards. Car bien qu’embourbés dans la crasse, difficilement rapiécés fil par fil, les objets mutants et suturés de l’artiste regardent vers le ciel. Dans ce monde dystopique qui sent le stupre, leur naïveté leur confère quelque chose de réconfortant, une espérance, quoique frelatée.

Après la catastrophe, donc, le monde se rétablit progressivement. La convalescence, tel est d’ailleurs le titre de l’exposition d’Anna Solal. Dans l’espace de la galerie, on retrouve l’attirail de l’artiste: des chaînes de vélo, des cordes et lacets, des ossatures momifiées et emballées de tissu, des éléments évoquant le bien-être et la beauté, comme des accessoires de massage, des pinces pour cheveux et pléthore d’écrans de téléphones brisés, que l’artiste nous présente “comme des peaux mortes”.

Elle nous dit récolter tous ses éléments – parfois un tantinet glauques  – dans la rue, lors de ses balades quotidiennes ou dans des boutiques discount.  Mis bout à bout, il se muent ici en un totem rachitique, en une tasse de thé géante entourée d’un essaim d’hirondelles, dont certaines ont des plumes en lames de rasoir. On retrouve également des dessins hallucinés, entourés d’assemblages évoquant des cadres religieux et des logos industriels.

Il faut dire que l’exposition flirte avec le mauvais goût. Anna Solal déploie une esthétique lo-fi et romantique. Laissés à l’état de mort ou d’attente, ses collages plastiques s’agrippent à vous: ils ont quelque chose de contagieux, installent un malaise, ils en deviennent presque insalubres. Et, si l’attention aux déchets et la fascination pour des lendemains apocalyptiques n’est pas étrangère aux artistes de la génération d’Anna Solal, l’esthétique de cette dernière s’impose par une facture intime et précieuse, excavant, comme des souterrains, des objets-ovnis, porteurs d’une angoisse et d’une profonde mélancolie.

Mal en point, les cadres et sculptures de l’artiste intriguent, arrachent parfois une grimace, installent une rêverie ou un trouble propre à  glacer le sang.

Julie Ackermann, Les Inrocks – 22/01/18 16h16